|
Prévention primaire, secondaire, tertiaire: de quoi parle-t-on? |
En prévention des risques psychosociaux, on peut distinguer trois niveaux d’intervention: primaire, secondaire et tertiaire.
- La prévention tertiaire consiste à intervenir lorsque le dommage a déjà eu lieu, dans une perspective curative. Il s’agit d’aider à se réparer, pour des individus fortement affectés par une situation ou un évènement et dont l’équilibre psychique est menacé. Par exemple, il peut s’agir d’une cellule de soutien psychologique mise en place après une agression violente sur le lieu de travail ou auprès des collègues après le suicide d’un salarié.
- La prévention secondaire consiste à réduire les atteintes sur la santé des individus en leur apprenant à mieux gérer les situations stressantes et leur propre stress. En somme, on part du principe qu’on ne peut empêcher le facteur de stress d’apparaître et on apprend aux salariés à être moins stressés.
Cette dernière approche est parfaitement légitime à double titre :
- D’abord, on peut partir du principe que l’on ne peut éradiquer le stress de la vie, qu’il en est un élément constitutif, et qu’il vaut mieux savoir gérer au mieux les aléas qui y sont associés. Si de manière générale, la vie est stressante, comme l’ont montré dans les années 60 deux psychiatres américains (Holmes & Rahe), la vie professionnelle, de manière plus spécifique, faite de contraintes et de frustrations au moins autant que de plaisirs, risque de ne pas échapper à cette loi. Pour se préserver soi-même, autant apprendre à gérer au mieux ce stress s’il ne peut être évité.
- Ensuite, il existe des stress inhérents à la tâche. Certains métiers, de par leur nature même, risquent de générer du stress. Un pompier, par exemple, ne cesse de travailler en situation d’urgence (facteur de stress), va être régulièrement confronté à un danger où il risque sa propre vie et ses celle de ses camarades (autre facteur de stress), va être confronté à la mort et à la souffrance humaine sur les lieux où il intervient (scène d’incendie, d’accident, de suicide, …). Ces facteurs de stress, inhérents au métier de pompier, ne peuvent être réduits. Il convient alors, pour l’employeur, d’en minimiser les effets négatifs.
Néanmoins la prévention secondaire présente également des limites:
- D’abord, la gestion du stress, faite de manière sérieuse, touche à des dimensions intimes de l’individu (affect, émotions, attitudes existentielles, relations à soi-même et aux autres, choix de vie, …) et risque d’impliquer une mise en cause de nos modes de fonctionnement habituels. Ce travail sur soi-même ne peut se faire que sur une base volontaire. Or, tous les individus ne sont pas désireux de travailler sur des dimensions aussi profondes. Et parfois, dans les organisations de travail, on remarque que ce sont précisément les personnes dont les collègues pensent qu’elles en auraient le plus besoin (les plus stressées ou les plus stressantes pour les autres) qui sont le moins enclines à s’y aventurer.
- Ensuite, les approches portant principalement sur le développement personnel ou l’apprentissage de la gestion du stress individuel risquent d’être un moyen pour l’entreprise de se décharger de toute responsabilité en reportant la problématique sur les qualités intrinsèques des individus et, donc, sur les salariés. La gestion du stress devient alors une affaire exclusivement individuelle, où l’entreprise intervient au mieux au titre de sponsor.
- La prévention primaire consiste à éviter l’apparition des situations à risque, en travaillant en amont à la réduction des facteurs de risque. Il s’agit de prévention au sens propre du terme puisque l’on intervient à la source avant même que la situation ne soit dégradée, pour prévenir cette dégradation. En matière de risques psychosociaux, la prévention primaire touche à l’organisation du travail, aux styles managériaux, aux modes de fonctionnement de l’entreprise et aux conditions de travail.
- On peut considérer que la prévention primaire est la plus efficiente en termes d’allocation optimale des ressources: mieux vaut arrêter de casser des jambes que de réparer sans cesse des jambes cassées ou d’apprendre aux individus à mieux gérer la douleur de la jambe cassée.
- Néanmoins, il ne faut pas se faire d’illusion. Le monde du travail ne sera jamais un monde parfait gouverné par les seuls bons sentiments . Si l’approche de prévention primaire permet de réduire nombre de facteurs de stress professionnels et permet une grande amélioration, parfois spectaculaire, de la qualité de vie au travail au sein des entreprises, elle ne va pas faire disparaître tous les problèmes par un coup de baguette magique. En particulier, elle a peu de prise sur les problématiques individuelles (personnelles) et relationnelles, les dernières pouvant être liées à des enjeux de pouvoir entre individus inhérents à toute organisation sociale. Et même les entreprises où il fait bon travailler ont tout intérêt à se prémunir à tous les niveaux, en intégrant la prévention secondaire et tertiaire dans un plan général de prévention organisé autour de la prévention primaire.