Travailler – Revue internationale de Psychopathologie et de Psychodynamique du Travail |
Travailler : pourquoi ce titre ? Travail, activité, emploi, profession, qualification…, tous ces termes ont des connotations disciplinaires et conceptuelles spécifiques qui suscitent des controverses sur le sens qu’il convient de donner au terme de travail. Controverses d’un grand intérêt qui montrent toutefois qu’aucune définition de la notion de travail ne saurait faire, actuellement, consensus. Pour certains auteurs, le travail serait une construction sociale récente datant du début ou du milieu du XIXème siècle. Pour d’autres, le travail n’aurait fait son apparition qu’avec le protestantisme et la Réforme… Pour d’autres encore, le travail serait même en voie de disparition ! Laissons ces débats et saisissons-nous d’une réalité indiscutable : travailler.
Qu’il s’agisse d’une activité salariée ou bénévole, domestique ou professionnelle, de manoeuvre ou de cadre, du public ou du privé, industrielle ou de service, d’agriculture ou de commerce… travailler, c’est mobiliser son corps, son intelligence, sa personne pour une production ayant valeur d’usage.
Que travailler puisse générer le pire ou le meilleur, tout le monde en conviendra. Que souffrir, en revanche, puisse avoir des incidences favorables est plus difficilement acceptable. Pourtant, contrairement à ce que suggère le sens commun, la souffrance n’est pas seulement le point d’aboutissement d’un enchaînement malheureux dont il ne resterait qu’à déplorer les conséquences fâcheuses. La souffrance est aussi, pour le clinicien du travail, un point de départ, une origine : l’origine de tout mouvement vers le monde, de toute expérience du monde.
Il suffit que cette souffrance soit éprouvée pour qu’elle appelle, en quelque sorte, à son dépassement. Comment ? Par le travail précisément ! La souffrance comme protention vers le monde est foncièrement protention du sujet à « travailler ». Dans l’après-coup, celui de la contemplation des résultats du travail accompli, s’esquisse le dépassement de la souffrance et sa transformation en sentiment de satisfaction, de plénitude voire d’euphorie. Le plaisir au travail est consubstantiellement lié à la réussite du processus de subjectivation, de renforcement de l’identité, ou encore de l’accomplissement de soi, dont travailler a été l’occasion.
Nombreuses sont les situations de travail grâce auxquelles les hommes et les femmes se portent mieux que lorsqu’ils sont privés de ce travail. Alors, comment expliquer que la psychodynamique du travail se soit fait connaître, avant tout, par la description des destins funestes de la souffrance, par celle des stratégies de défense, de l’aliénation et de la pathologie mentale ? C’est que le travail n’est accessible, concrètement, que dans un rapport social où s’exerce la domination. Le pouvoir mutatif du travail sur la souffrance, sur l’accroissement de la subjectivité, sur le plaisir et la santé, peut être neutralisé. Voire inversé en son contraire et ne générer que davantage de souffrance, comme, par exemple, dans le travail répétitif sous contrainte de temps.
Il est possible de ployer et de s’incliner devant la domination dont l’organisation du travail est un enjeu, ou de ruser et de résister. Que notre liberté, notre responsabilité et notre volonté soient engagées dans le destin du rapport au travail est incontestable. Pour pouvoir assumer ce que cela implique dans le registre de l’action, nous devons développer des instruments conceptuels et un appareillage théorique permettant d’analyser ce qui fait qu’une organisation du travail est favorable à l’avènement du sujet ou au contraire ce qui la rend foncièrement délétère et désubjectivante, ou encore, aliénante.
Se donner pour but la suppression de la souffrance humaine, c’est formuler un objectif impossible à atteindre et s’engager dans une action irrationnelle. En revanche, se battre pour un compromis de qualité entre travail et santé est, par exemple, un objectif accessible et rationnel. Déterminer si un objectif est chimérique ou réaliste, ne va pas de soi. C’est pourquoi agir ne consiste pas qu’à prendre des décisions. Agir suppose de prendre le temps de réfléchir et d’étudier.
Travailler se veut une revue au service de la délibération, ouverte aux débats, mais fermement argumentée du point de vue théorique. L’éventail des articles est donc large puisque sont publiées des contributions émanant de toutes les branches des sciences humaines aussi bien que des sciences de l’ingénieur ou des sciences médico-biologiques, dans la mesure où, traitant du travail ou de l’action, elles n’assignent pas à la souffrance et au sujet qu’un statut d’accessoire décoratif, mais leur accordent une place significative, étayée à des références explicitement situées.